Je me hisse difficilement hors de la voiture.
Ma mission est simple : trouver des taz pour la prochaine tournée matinale des BPM. Il commence à peine à faire jour, et merde, ce qu’il fait froid. Alors que je me dirige vers l’entrée du tekos, je réalise que sortir seule, en pleine descente de taz, était une mauvaise idée. Chancelante, je croise des groupes d'excès ambulants, des groupes de déchets, des groupes de piles à ressorts, et parfois des groupes des trois en même temps. Qu’est ce que je fous là, déjà ? Ah, oui, je traverse seule les flots d’hommes en rut remplis d’amour à donner, au milieu d’un terrain militaire, pour trouver des marchands de bonbons. Indice : ce sont les seuls qui ont l’air clean.
Mon monsieur me rejoint alors que je finalise ma dernière transaction. On est arrivés à la teuf en fin d’après midi, hier, et nous avons découvert ce qui ressemblait à une gigantesque fête foraine. Des allées bétonnées quadrillent des prairies de gazon ; en bordures de ces allées s’alignent les innombrables murs de son, tandis que les voitures, camtars et autres tentes s’éparpillent dans l’herbe. Disséminés ça et là, l'empreinte capitaliste-mais-nous-sommes-tous-frères dans du merchandising toxiconautique ainsi que quelques tentes de Médecins du Monde. Quelques voitures du Samu circulent, et nous apercevons un hélicoptère militaire survoler le terrain. L’ambiance est au büm-büm, mais après un premier tour de piste, nous sommes surpris du petit nombre de jeunes débauchés qui se trémoussent devant les enceintes. Je comprendrai plus tard, ce lendemain matin : phénomène de digestion synaptique.
Après ce premier repérage des environs, une gonzesse avec qui nous avons fait le trajet nous propose une trace de MDMA fraîchement négociée. Je l’observe attentivement réduire les cristaux en poudre avec sa carte de crédit. Difficilement. Je n’ai jamais sniffé mais je n’ai pas peur : elle semble savoir ce qu'elle fait, pour preuve ses doigts experts impuissants à faire plier ces grains de sel. Qu'importe, je ne suis pas gourgandine à craindre NaCl, et quelques heures après notre arrivée, le soleil à peine couché, nous décidons tous les deux de partir en quête d’ecstasiantes, nos narines explosées restant insensibles à la douceur raffinée du sel ; c'était donc bien de la merde.
La nuit est tombée, je danse sans retenue devant le son. Cela fait plus d’une demi-heure que je digère mon cachet rose, et je suis envahie par une formidable énergie. Évidemment. Je suis euphorie et bien être, amour et cannibalisme, et tandis que nous déambulons de murs en murs, j’abandonne la marche en tant que mode de déplacement pour le sautillement, bien plus approprié dans mon état. Shboing shboing shboing. Je suis accompagnée par la personne la plus fabuleuse de la création psychédélique, et rien ne peut m’arriver, le monde est fushia, je suis fushia, et ce jeune teuffeur mort dans lequel je butte aussi est fushia. Tout va pour le mieux dans le plus rose des fushia. Un groupe de potes nous propose des buvards d’LSD, que nous léchouillons sans hésitation. Nous voilà repartis pour quelques tournées de terrain. Nous semblons flotter dans une autre dimension ; des lumières colorées [abandon du fushia, ça ira] défilent au rythme de basses trémulantes et vibratoires. Tout m’apparaît drapé d’irréalité, bien qu’étant parfaitement consciente, et je perds la notion du temps. Je ne manque de rien dans notre bulle chimique. Nous nous collons de plus en plus l’un à l’autre : pour l'heure, il faut fusionner. Nous gobons notre deuxième xeu, mais le froid nous rattrape : un feu, il nous faut un feu. Nous en trouvons un rapidement, et c’est avec plaisir que nous profitons quelques instants de la bienveillance d’un extasié qui nous l’alimente. Fushia, je vous dis.
Nous sommes dans la voiture, nous prenons notre deuxième buvard d’LSD. Un des couples qui nous accompagne nous a invités à nous réchauffer à l’intérieur. Ils essayent de dormir. Je ne comprends pas ce qui peut pousser une jeune couple, honnête au demeurant, payant ses impôts et ne trafiquant aucune fleur de sel dans leur salle de bain à venir ici pour dormir. Mais peu importe, elle est chaude cette voiture, et lui aussi d'ailleurs. Je le regarde intensément, rien ne saurait me distraire de ma contemplation béate. Je distingue son visage dans la pénombre grâce l’éclairage d’un mur à proximité. Ses traits se tordent, et un mot me vient à l’esprit : farfadet. Je ne sais pas trop si c’est un effet d’optique ou le LSD. Mais ses traits se tordent beaucoup, quand même. Nous ne parlons pas, nous ne sommes pas seuls, les deux à l’arrière tentent de se reposer. Nous nous fixons, silencieux pendant 1 heure ; nous jouons un remake des Feux de l’Amour par télépathie. Deux cents épisodes en quelques minutes. Un type tape au carreau de la vitre : « HEY VOUS VOULEZ DES TRIPS ? ».
Il m’a attrapée le bras, il me crie dessus, il veut savoir si je suis accompagnée, et si je suis amoureuse. Très amoureuse, que je lui hurle tout en essayant de garder mon équilibre face à sa poigne. Il doit être aux alentours de 6 heures du matin, et j’ai laissé les autres dans la voiture le temps de trouver de la came pour la matinée. Je ne suis pas encore descendue, et j’ai froid. Ce type ne lâche pas mon bras, et me répond qu’il ne m’aurait jamais laissée seule, lui, s’il avait été amoureux. Je me dégage de sa prise, et continue ma traversée du béton, en quête du Motorola Rose Sacré de la Prairie de Trifouille-Moi-sur-le-Lac. J’essaye de me concentrer sur cet objectif tandis que des souvenirs refluent. C’était cette nuit, on avait embarqué son ex dans un tour des murs. Je suis en train de danser, on est tous les deux en pleine montée de taz. Je l’aperçois en train de l’enlacer, elle. Je me retourne rapidement, coupable de les avoir vus. Je songe à me fondre dans la masse ; je me sens de trop, et me demande jusqu’où ils iraient si je les laissais là, seuls tous les deux. Tandis que nous nous dirigeons vers un autre mur, je les laisse me distancer. S’en rendront-ils compte ? Je balaye ces conneries de mon esprit et les rattrape : hors de question que passe à côté d'une éventuelle orgie multipolaire à cause d'un taz, faut pas déconner.
Nous gobons notre troisième bonbon rose. Il est 7 heures du matin, et mes poches sont pleines de surprises colorées. Il m’a rejointe, et nous entreprenons une tournée matinale du tarmac. Nous découvrons ce qui s’apparente à un paysage post-atomique. Des types hagards titubent, perdus, les gueules ravagées, tandis que les derniers résistants kakis de la nuit se secouent frénétiquement contre les kilo-watts, au milieu des cadavres endormis sur les tessons de bouteilles. Quelques spécimens attirent notre attention : nous ne parvenons pas à concevoir leurs vies hors teuf, si ce n’est une vie de victime du tétanos. Nous savourons l’ambiance matinale, et regardons les déchets de la nuit croiser les premiers levés, sortis frais et dispos de leurs tentes chercher de quoi boire et se petit-droguer.
Une piste à snif, trois taz et deux buvards de LSD plus tard, douze heures sont passées, et nous sommes en train de gambader au milieu d’une prairie, entourés de boum-boum. Heureux et infiniment niais, allongés dans l’herbe humide, nous tentons de nous communiquer notre amour réciproque en regardant un autre couple se rouler dans un fossé. Ils sont mignons, ils s’aiment beaucoup à cet instant précis, et il ne manque que les fleurs pour compléter ce tableau de hippie camé. Comme nous. Dans notre infinie perfection, nous discourons sur la philosophie de la petite maison dans la prairie tout en reluquant le cul de la gonzesse dans son fossé. C’est à contre cœur que nous rejoignons les autres, sur le départ.
HEY VOUS VOULEZ DES TRIPS ?